KissKissBankBank – rencontre avec Vincent Ricordeau

Alors que nous venions à peine de prendre nos marques à l’INHA ; nous avons eu le grand plaisir de rencontrer vendredi dernier dans nos locaux Vincent Ricordeau, cofondateur de la plateforme de crowfunding KissKissBankBank. Il est revenu sur le phénomène du #crowdfunding et nous a décrypté les enjeux stratégiques pour une plateforme comme KissKissBankBank à innover. Nous partageons avec vous cette discussion passionnante d’une formule efficace et crédible sur le financement des industries créatives.

Bonne lecture !

L’ADN DES “KISS BANKERS“

Alors que de nombreuses plateformes s’installent dans le secteur particulier de la production communautaire, comment vous définiriez-vous face à celles-ci ?

Depuis quelques années le concept de crowfunding s’est petit à petit développé en France et a évangélisé les concurrents. Aujourd’hui, c’est devenu un véritable phénomène social, tous les 3 mois une plateforme se monte, et de cela nous en avons clairement bénéficié. Maintenant, ce qui nous a permis aujourd’hui d’être leader sur le marché, c’est d’une part l’univers créé autour du nom « KissKissBankBank », d’autre part les événements organisés qui nous ont permis de développer notre notoriété : le festival de court-métrage avec MK2, les soirées thématiques qui exposent nos projets en ligne, ou encore les concours entre créateurs. Mais aussi, grâce aux différents partenariats mis en place notamment avec ARTE pour la création d’un webdocu, ou encore la Banque postale pour imaginer des contenus web créatifs. Nous pensons qu’il est très important de nous mettre en scène dans la réalité et créer un univers spécifique autour de notre plateforme. Je pense que c’est pour ces différentes raisons que nous sommes aujourd’hui leader (ndlr. 60 000 personnes ont soutenu des projets depuis la création du site).Par ailleurs, l’autre point-clé qui nous définit je dirais que c’est l’accompagnement, le coaching dans les différents projets, nous sommes encore les seuls à le faire et je pense que nous sommes très largement en avance sur nos concurrents.

Il y a eu des conflits d’intérêts avec My Major Company, ils ne vous on pas reproché de piquer un peu leurs idées ?

My Major Company a toujours su qu’on ne faisait pas le même job qu’eux. Ils ont leur propre label, leur travail est de produire des disques et vendre de la musique. Ils utilisent le même levier que nous mais pour un usage différent du notre.

Qu’est-ce que vous tirez de vos collaborations avec des établissements comme la Banque postale par exemple ?

Beaucoup de gens pensent qu’on est une filiale de la Banque postale mais nous avons seulement un deal marketing de sponsoring avec eux. C’est une banque qui est toute jeune et qui n’est justement pas du tout moderne dans l’esprit des jeunes. Quand on les a rencontrés, ils souhaitaient qu’on les aide à atteindre ce public. Nous leur avons demandé de quelle façon ils pourraient se servir de notre plateforme de crowfunding pour communiquer auprès de ce jeune public mais aussi comment une banque pouvait apporter quelque chose aux industries de contenu. Pour que cela fonctionne, il fallait créer des évènements et des contenus spécifiques pour eux. Notre objectif est de se constituer de quelques grosses entreprises, comme par exemples Renault ou GDF Suez, pour contribuer à notre expansion. Quand on pense qu’elles ont une image suffisamment saine alors on essaye d’en faire des partenaires financiers. Cette démarche est assez récente dans le domaine.

Justement on voit de plus en plus d’entreprises abonder les contenus culturels, quelle est la part d’investissement d’une entreprise sur ce type de plateforme ?

La part d’investissement est encore faible, mais je pense que cela va grandir notamment lorsqu’on aura fait un effort de segmentation par ville pour les sociétés qui cherchent à communiquer auprès d’un public ciblé.

D’où vient l’idée d’un nom comme “KissKissBankBank“ ?

Notre première idée était qu’on cherchait un objet créatif à détourner. C’est volontairement à contre-pied qu’on a voulu prendre quelque chose qui résonnait à la fois avec l’émotion et l’argent. On souhaitait former un mot long avec une onomatopée. Aujourd’hui, on est super content du nom car c’est lui qui nous a amené la notoriété, et parce qu’il se décline pas mal. Pour Hellomerci (ndlr. Le nouveau site fondé par la société) on voulait quelque chose qui symbolise l’échange, d’ailleurs pour trouver ce nom nous avons travaillé avec l’agence BETC.

Comment se fait la sélection des projets ?

Tout d’abord, il y a beaucoup de projets personnels qui nous sont envoyés, comme par exemple la personne qui cherchait à se faire financer son voyage de noce. Nous souhaitons nous dédier exclusivement aux sphères créatives, non soutenir un projet d’intérêt privé, donc nous enlevons déjà ce type de projet dans nos critères. Ensuite, la sélection se fait aussi sur la crédibilité et la maturité du projet. Cela se voit assez vite dans la description du projet, dans la contrepartie fixée, ou lorsque le projet n’est pas assez abouti et qu’il est standard, on le remarque tout de suite.

UNE DIVERSIFICATION LÉGITIME

Avec la lancée de votre nouveau site dédié aux particuliers HelloMerci, est-ce que justement vous poussez le concept un peu plus loin ?

Nous avons l’équilibre financier depuis mars 2013, alors comme beaucoup de projets qui nous sont venus semblaient être des demandes de prêt, on a décidé de monter une plateforme de prêt que l’on a lancé assez discrètement en avril dernier. On reçoit minimum 1 projet par jour, je pense que d’ici 3 mois ce site sera plus gros que KissKissBankBank.

Pourquoi le lancer discrètement ?

Parce qu’on souhaitait voir comment les internautes allaient réagir, c’est une toute autre marque. Les règles du marketing auraient voulu qu’on fasse dans notre même site un onglet “prêt“ et un onglet “don“. Parce que c’est la même marque. En l’occurrence, nous ne voulions pas mélanger ces deux choses-là c’est pour cela que nous avons lancé une deuxième plateforme. D’ailleurs, nous allons développer une troisième plateforme en 2014 où les internautes pourront investir dans des sociétés par l’achat d’actions.

Comment définiriez-vous cette stratégie ?

C’est une stratégie plutôt horizontale de développement par segment. Une fois que nous serons assez costauds financièrement sur ces 3 plateformes nous réfléchirons à développer une stratégie sur l’international. De plus en plus de projets viennent de l’étranger, mais ce qui nous intéresse est d’abord de fouiller tous les segments ici. Pour le moment, 95% de projets sont francophones et une part importante de ces derniers vient de Belgique.

En quoi vous différenciez-vous d’Ulule par exemple ?

Il y a une différence majeur, leurs projets sont majoritairement orientés humanitaire et social alors que nous, nous nous dirigeons plutôt vers les projets artistiques. On considère qu’un projet humanitaire n’est pas un projet artistique. Même s’ils travaillent maintenant en collaboration avec Peopleforcinema (Ndlr. Une ancienne plateforme du financement participatif du cinéma). Mais je pense qu’il ne vaux mieux pas faire d’alliance de sociétés pour une plateforme de crowfunding, c’est mon avis personnel. Il est vrai qu’au départ ils ont été plus rapides que nous à lancer la machine du crowfunding, mais je pense qu’aujourd’hui nous sommes meilleur qu’eux dans l’accompagnement de projet et le coaching.

LE SOCLE DE LA CULTURE PARTICIPATIVE

Lorsque l’on voit les célébrités commencer à utiliser ces formules pour financer leurs films, pensez-vous que les donateurs finiront par se lacer de ce type de projet car ils ne voient plus “l’utilité première“ qui était d’aider les auteurs qui ont réellement besoin de ces sources financières pour aboutir à leurs idées ?

Il est vrai que se pose la question de savoir s’il est éthique que des personnes célèbres collectent de l’argent via ce type de financement. Il y a deux réponses à cela, si le public a un réel affect pour cet auteur la question ne se pose pas et l’internaute décide de plein droit de donner son argent, effectivement si le discours est clair, alors ça ne pose pas de problème. Si par contre le discours est tronqué, que la collecte de fonds ne sert pas réellement à financer le film en entier et que le diffuseur vient faire croire aux fans que l’argent est essentiel alors qu’il ne l’est pas… Tout est une question de transparence. Je pense que n’importe qui peut collecter des fonds à partir du moment où il le fait en toute transparence. Cependant, contrairement à ce que l’on croit, c’est le créateur du projet qui prend le risque non le donateur. Qu’il soit connu ou non, il livre son projet publiquement, la pression sociale est forte, et lorsque la personne est connue, si elle trahit sa communauté de fans la carrière de celle-ci s’arrête très vite. C’est très complexe. Néanmoins, la contrepartie est la clé pour créer cet équilibre entre donateur et créateur et responsabiliser ainsi les deux acteurs. Il est très important pour un porteur de projet de tisser ce lien de confiance avec ses “Kiss Bankers“. Après, je pense que tant qu’il y aura de la co-création et de l’affect pour les projets existants ce système perdurera.

À votre avis, quel est le gain d’intérêt des publics à donner bénévolement de l’argent aux porteurs de projet artistique ?

Pour moi c’est le sujet le plus passionnant de notre métier, car cela démontre pleins de choses. D’une part, la façon dont est organisé notre société aujourd’hui est très pyramidale donc mécaniquement cela rend les gens cupides, individualistes mais aussi très acerbes sur la compétition. D’autre part, il se trouve qu’à l’intérieur de cette même humanité ce mode d’organisation n’est pas le seul qui régisse notre société, il y a aussi et surtout des valeurs de partage, d’empathie qui circulent. Du coup, si nous donnons la possibilité à ces individus d’exprimer ces valeurs, alors c’est juste une question d’équilibrage, une volonté presque naturelle de co-créer. L’implication des utilisateurs est forte, non pas de manière matérielle ou philanthropique, mais de façon symbolique, affective et émotionnelle. Ce sont des valeurs profondément liées aux notions d’empowerment et d’émancipation de l’usager.

Sur les questions de droits d’auteur, pouvez-vous protéger vos projets ?

Au niveau de la propriété intellectuelle c’est une question qui se pose dans le partage des oeuvres culturelles. Néanmoins, nos projets ne sont pas protégés par l’INPI. De même, la notion d’Open source ne leur parle pas… Il y a encore beaucoup de choses à paramétrer de ce côté-là.

Propos retranscrits par Laurène Dauplay

Photo ©Benjamin Boccas